Les Stablecoins

Les stablecoins sont devenus le cœur battant de la finance décentralisée. Découvrez leur fonctionnement, leurs forces, leurs failles et leur avenir face aux banques et régulateurs. Un guide clair et complet pour comprendre la monnaie numérique la plus utilisée au monde.

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1. Qu’est-ce qu’un stablecoin ?

Les stablecoins sont des actifs numériques conçus pour maintenir une valeur stable, en général adossée à une monnaie traditionnelle comme le dollar américain ou l’euro. Contrairement à des cryptomonnaies volatiles comme Bitcoin ou Ethereum, leur objectif n’est pas la performance, mais la stabilité. Ils jouent aujourd’hui un rôle central dans l’écosystème crypto.

Une définition simple, mais stratégique

Un stablecoin est un jeton numérique émis sur une blockchain, dont la valeur est liée à un actif de référence – souvent une monnaie fiat comme l’USD. Cela signifie que 1 USDC ou 1 USDT vise à valoir 1 dollar, à tout moment.

Pour atteindre cet objectif de stabilité, les émetteurs utilisent différents mécanismes :

  • Collatéralisation en fiat : chaque token est supposément couvert par des réserves équivalentes en dollars, détenues en banque ou en bons du Trésor (cas de l’USDC ou de l’USDT).

  • Collatéralisation crypto ou algorithmique : certains stablecoins décentralisés utilisent des systèmes automatiques ou des surcollatéralisations en crypto pour maintenir l’ancrage, comme DAI ou LUSD.

Pourquoi ils existent ?

Dans un univers où la volatilité est la norme, les stablecoins offrent une ancre de stabilité indispensable. Ils permettent :

  • Des échanges rapides sans passer par le système bancaire traditionnel.

  • Un accès constant à la liquidité en dollar numérique, 24h/24, 7j/7.

  • Des transferts internationaux instantanés à faible coût.

  • Une base solide pour la DeFi, en servant de collatéral, de réserve de valeur temporaire, ou de devise de règlement dans les protocoles de lending, de staking ou de trading.

Les stablecoins facilitent ainsi la circulation de valeur dans l’écosystème crypto, tout en permettant à des investisseurs ou institutions de rester exposés au dollar sans sortir de la blockchain.

Un pont entre deux mondes

Au fond, les stablecoins jouent le rôle de pont entre la finance traditionnelle et la finance décentralisée. Ils rendent les infrastructures blockchain plus accessibles, plus utilisables, et plus compatibles avec les réalités financières classiques.

Ils ne sont ni une innovation de rupture comme Bitcoin, ni une simple réplique d’actifs existants. Ils sont devenus une infrastructure monétaire à part entière, qui soutient une grande partie de l’activité économique sur les blockchains, tout en posant de nouveaux enjeux de transparence, de réglementation et de gouvernance.


2. Les grands modèles de stablecoins

Tous les stablecoins partagent un même objectif : maintenir une parité stable, généralement avec le dollar. Mais les mécanismes utilisés pour y parvenir diffèrent largement selon les modèles. Cette diversité n’est pas anecdotique : elle détermine le niveau de risque, la transparence, la centralisation et la résilience du stablecoin.

Les stablecoins collatéralisés en fiat

Ce sont les plus utilisés aujourd’hui, notamment USDT (Tether) et USDC (Circle). Ils reposent sur une logique simple : chaque token émis est censé être garanti par une réserve équivalente en monnaie fiat, généralement déposée dans une banque ou placée dans des instruments liquides (bons du Trésor à court terme, cash equivalents, etc.).

Avantages :

  • Grande stabilité et faible volatilité.

  • Liquidité élevée sur les marchés centralisés comme décentralisés.

  • Adhésion massive des acteurs institutionnels, notamment avec l’USDC, considéré comme plus transparent.

Limites :

  • Dépendance à des entités centralisées (émetteurs, banques).

  • Risque de contrepartie : si la réserve est mal gérée ou inaccessible, la parité peut être menacée.

  • Exposition réglementaire : ces stablecoins sont sous surveillance étroite des autorités financières.

Les stablecoins sur-collatéralisés en crypto

Ici, la garantie est assurée non pas par de la monnaie fiat, mais par des crypto-actifs déposés en excès. C’est le cas de DAI, émis par le protocole MakerDAO. Pour créer 100 DAI, il faut par exemple déposer pour 150 $ d’Ethereum ou d’autres crypto-actifs, avec des seuils de liquidation prédéfinis.

Avantages :

  • Fonctionnement décentralisé, sans dépendance directe à une institution financière.

  • Transparence totale : les réserves sont visibles, vérifiables on-chain.

  • Compatible avec une vision à long terme d’écosystème autonome et ouvert.

Limites :

  • Inefficience du capital (sur-collatéralisation obligatoire).

  • Sensibilité à la volatilité du marché crypto : si les actifs en réserve chutent trop vite, le système peut entrer en crise.

  • Complexité technique pour l’utilisateur moyen.

Les stablecoins algorithmiques

Ces modèles tentent de maintenir la stabilité sans collatéral, en utilisant uniquement des mécanismes incitatifs automatiques. L’exemple le plus connu – et le plus controversé – reste UST (Terra), qui a implosé en 2022 après avoir atteint plus de 18 milliards de capitalisation. Le protocole utilisait un système de création/destruction d’un second token (LUNA) pour réguler l’offre de stablecoin.

Avantages :

  • Capitalisation plus légère, modèle théoriquement plus scalable.

  • Promesse d’un système autonome, non dépendant de réserves externes.

Limites :

  • Forte instabilité systémique : sans collatéral réel, tout repose sur la confiance dans le mécanisme.

  • Risque de boucle de la mort : en cas de perte de confiance, le système s’effondre rapidement.

  • Le modèle a perdu en crédibilité après plusieurs échecs majeurs.


3. Les usages concrets des stablecoins

Au-delà de leur définition technique, les stablecoins s’imposent aujourd’hui comme des outils essentiels dans la pratique quotidienne de la finance numérique. Leur stabilité en fait une pièce centrale de l’écosystème crypto, non seulement pour les acteurs natifs du secteur, mais aussi pour les institutions et entreprises qui cherchent à exploiter les avantages de la blockchain sans s’exposer à la volatilité.

L’un des usages les plus répandus des stablecoins concerne les paiements et les transferts internationaux. Dans un monde où les systèmes bancaires sont encore lents, coûteux et souvent fragmentés, envoyer de la valeur numérique adossée au dollar, en quelques secondes, sans intermédiaire bancaire, représente une avancée considérable. Pour de nombreuses entreprises ou travailleurs indépendants à l’échelle globale, c’est une solution pragmatique pour facturer, recevoir des paiements ou rémunérer des partenaires, notamment dans les zones où le système financier local est peu efficace.

Les stablecoins servent également de refuge temporaire en période d’instabilité sur les marchés. Dans un portefeuille crypto exposé à la volatilité de Bitcoin ou d’Ethereum, ils permettent de se repositionner rapidement vers une valeur stable, sans devoir sortir vers le système bancaire traditionnel. Cette fonction de réserve de valeur est particulièrement appréciée dans les phases de correction ou d’incertitude macroéconomique, où l’agilité peut faire la différence.

Sur le plan de la finance décentralisée, les stablecoins sont omniprésents. Ils sont utilisés comme collatéral pour emprunter d’autres actifs, comme liquidité dans les pools de trading automatisé, ou encore comme unité de compte pour les protocoles de lending. Leur stabilité en fait un socle technique et économique fiable pour faire fonctionner des systèmes complexes de manière fluide et prévisible.

Enfin, les stablecoins jouent un rôle d’interface entre deux mondes : celui de la finance traditionnelle et celui de la blockchain. Parce qu’ils représentent une valeur familière (le dollar, l’euro), tout en circulant sur des réseaux publics, ils permettent d’ancrer les innovations technologiques dans des référentiels économiques compréhensibles. Ils facilitent l’intégration de solutions blockchain dans des systèmes comptables classiques, dans des applications de paiement ou même dans certaines expérimentations bancaires.


4. Régulation et perspectives


Une régulation qui s’affirme

Les stablecoins ont atteint une telle importance dans l’écosystème crypto qu’ils ne peuvent plus évoluer dans un vide juridique. À mesure que leur usage s'étend – dans les paiements, la finance décentralisée, les échanges internationaux ou les systèmes de règlement –, les États sont contraints de s’organiser pour encadrer leur développement. Cette structuration réglementaire progresse rapidement, notamment aux États-Unis et en Europe, avec des approches différentes mais complémentaires.


États-Unis : le cadre du GENIUS Act

Adopté à l’été 2025, le GENIUS Act constitue le premier cadre légal fédéral dédié spécifiquement aux stablecoins. Il impose que les émetteurs soient soit des institutions bancaires agréées, soit des entités non bancaires dûment enregistrées et supervisées. Les stablecoins doivent être entièrement garantis par des actifs liquides comme le dollar ou les bons du Trésor américain, avec des obligations de transparence sur les réserves.

Ce cadre vise plusieurs objectifs : rassurer les utilisateurs, sécuriser le système financier, et préserver le rôle du dollar dans l’économie numérique mondiale. En créant des règles claires, le GENIUS Act ouvre la porte à une adoption plus large des stablecoins par les banques, les entreprises et les institutions.

La loi prévoit également une protection des détenteurs en cas d’insolvabilité de l’émetteur, et renforce les obligations d’audit et de publication. En somme, elle inscrit les stablecoins dans un modèle de stabilité et de conformité, sans pour autant brider l’innovation.


Europe : MiCA, un cadre structuré et progressif

De son côté, l’Union européenne a mis en œuvre le règlement MiCA, entré en vigueur fin 2024. Ce texte encadre l’ensemble des crypto-actifs, dont les stablecoins, en leur donnant un statut légal précis. Il impose aux émetteurs des obligations de transparence, de supervision, de constitution de réserves et de conformité à des standards stricts de gestion des risques.

MiCA distingue notamment les stablecoins adossés à une seule monnaie (comme un euro numérique privé) et ceux adossés à un panier d’actifs. Les plus « significatifs » d’entre eux, susceptibles d’avoir un impact sur la stabilité financière, sont soumis à des exigences renforcées.

L’approche européenne repose sur un principe clair : intégrer les crypto-actifs dans le cadre financier existant, sans en nier la spécificité. Cela permet aux institutions financières traditionnelles – banques, fintechs, gestionnaires d’actifs – d’envisager une participation active à l’écosystème, dans un environnement réglementé et sécurisé.

Quel impact pour les banques et la finance traditionnelle ?

Ces évolutions changent profondément la donne. Jusqu’à récemment, l’usage de stablecoins restait cantonné aux acteurs crypto-natifs. Avec des cadres clairs comme le GENIUS Act ou MiCA, le champ s’élargit : les banques peuvent désormais envisager de proposer leurs propres stablecoins, ou d’intégrer ceux existants dans leurs produits et services.


Certaines institutions commencent à développer des stablecoins adossés à l’euro ou au dollar, utilisables dans les paiements, les règlements interbancaires ou même la gestion de trésorerie d’entreprise. D’autres s’appuient sur des stablecoins existants pour créer des solutions hybrides mêlant finance traditionnelle et blockchain.

Ce mouvement ne se limite pas à l’offre technique. Il marque une transition stratégique plus large : celle d’une finance qui devient programmable, plus fluide, plus rapide – tout en restant conforme aux exigences réglementaires et prudentielles.


5. Quel rôle pour l’avenir ?


Stablecoins, infrastructure monétaire de la DeFi

Les stablecoins sont en train de s’imposer comme le socle monétaire de la finance décentralisée (DeFi). Grâce à leur stabilité, ils fournissent la liquidité nécessaire aux échanges automatisés, aux prêts, aux emprunts, ou encore aux marchés à terme. Aujourd’hui encore, ce sont les stablecoins qui représentent la majorité des volumes dans les échanges et le financement décentralisés, jouant un rôle central dans la tenue de liquidité sur les plateformes telles que Uniswap ou Curve, car ils permettent d’éviter l’exposition directe à des actifs volatils comme Bitcoin ou Ethereum

évolutions des stablecoins en circulation.

Une concurrence qui structure le secteur

Sur la scène privée, plusieurs grands acteurs se positionnent pour façonner l’infrastructure monétaire de demain. Circle et Tether dominent déjà le marché avec leurs stablecoins USDC et USDT. Plus récemment, ces émetteurs ont développé leurs propres chaînes Layer 1 (Arc pour Circle, Stable pour Tether), conçues pour que les paiements et frais de transaction se fassent nativement en stablecoin.

Stripe, de son côté, développe Tempo, en partenariat avec Paradigm, tandis que PayPal constitue une offre régulière d’intégration aux stablecoins pour ses services — signe que la finance traditionnelle entre en synergie avec les monnaies numériques privées. Cette concurrence traduit une volonté claire : transformer les rails de paiement actuels, en y intégrant des stablecoins comme nouvelle couche monétaire standardisée.


Pourquoi cela importe pour l’investisseur stratège ?

Ce futur hybride offre l’esquisse d’un système monétaire plus efficace, où usable uniquement sur blockchain, stablecoins et CBDC pourraient coexister sous des règles distinctes, mais complémentaires. Pour un investisseur structuré, cette évolution ne signifie pas une spéculation, mais la reconnaissance d’un changement fondamental des infrastructures financières, une transformation dont il s'agit d’anticiper les implications.