L’Amérique face à la crypto

Entre innovations, batailles juridiques et ambitions de l’ère Trump, retour sur le parcours mouvementé d’une nation devenue l’arbitre mondial du Web3.

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Introduction

Depuis l’apparition de Bitcoin, les États-Unis n’ont pas simplement observé l’essor des cryptomonnaies ; ils ont participé activement à leur régulation, parfois avec méfiance, souvent avec pragmatisme. Le parcours est complexe : il débute dans une zone grise ou les premières mises en examen ont donné le ton. Il se poursuit avec une montée en puissance des acteurs institutionnels, une réglementation fluctuante, des scandales retentissants et plusieurs tentatives de légiférer. Le tout évolue au gré des exécutifs, parfois pragmatiques (sous l’administration Biden), parfois résolument pro-crypto (sous Trump).


Chapitre 1 – Les débuts : méfiance et régulation balbutiante

Le chemin parcouru par le Bitcoin aux États-Unis tient de la transformation radicale : de curiosité technologique à placement aux contours réglementaires, en passant par les premiers chocs judiciaires.


Mt. Gox et Silk Road : les secousses fondatrices

La plateforme Mt. Gox, lancée en juillet 2010, s’est rapidement imposée comme la principale place de marché mondiale pour le Bitcoin. À son apogée, elle traitait jusqu'à 70 % des transactions Bitcoin dans le monde. Cette domination a pris fin abruptement en février 2014, lorsque Mt. Gox a suspendu les retraits, puis a fait faillite, après la disparition de centaines de milliers de BTC, attribuée à des vols et probablement des failles de sécurité mal gérées.

Peu après, l’impact s’est accentué à travers le marché noir du darknet : Silk Road, plateforme ouverte en 2011, facilitait les transactions illicites via Bitcoin. En octobre 2013, le FBI a fermé Silk Road et arrêté son fondateur, Ross Ulbricht, marquant la première réaction judiciaire significative liée à la crypto‑économie. L’évaporation de ces deux projets a souligné les dangers concrets de l’anonymat et des failles techniques dans un contexte réglementaire encore inexistant.

logo de la plateforme


À noter : en juillet 2024, le président Donald Trump a officiellement gracié Ross Ulbricht, relançant le débat sur la symbolique politique et idéologique de la crypto aux États-Unis. Cette décision a été saluée dans certains cercles libertariens, et critiquée dans d’autres comme un signal ambigu sur la tolérance aux dérives de l’écosystème


Chapitre 2 – L’émergence d’un secteur institutionnalisé

Après les premières années marquées par l’incertitude et les scandales, les États-Unis ont vu émerger un véritable écosystème crypto structuré, piloté par des acteurs américains désormais cotés en bourse, bien intégrés à la sphère financière traditionnelle.

Coinbase, fer de lance de la légalisation de l’accès crypto

La trajectoire de Coinbase symbolise cette institutionnalisation. Lancée en 2012 à San Francisco, la plateforme a rapidement gagné la confiance des particuliers, puis des institutions, en misant sur la conformité réglementaire et la transparence. Son entrée en Bourse sur le Nasdaq en avril 2021 a marqué un tournant historique : pour la première fois, une entreprise entièrement adossée à l’économie crypto accédait aux marchés financiers traditionnels, avec le feu vert des régulateurs.

Note : Pour une analyse plus approfondie de l’activité de Coinbase et de son positionnement boursier, voir notre article dédié « Investir dans la blockchain via les marchés traditionnels ».

Au-delà de Coinbase, d’autres acteurs américains comme Circle, Anchorage, Paxos ou encore Gemini ont suivi une trajectoire similaire, en construisant des structures solides, auditables, et capables de dialoguer avec les autorités financières. Cette dynamique a contribué à crédibiliser l’écosystème aux yeux des banques, des fonds et même des gestionnaires publics.


SEC vs CFTC : la guerre de juridiction

Mais cette institutionnalisation ne s’est pas faite sans friction. Dès le milieu des années 2010, une bataille silencieuse s’est engagée entre deux régulateurs fédéraux : la SEC (Securities and Exchange Commission) et la CFTC (Commodity Futures Trading Commission).


Le cœur du débat porte sur la qualification juridique des cryptoactifs. La SEC considère que la plupart des tokens (hors Bitcoin) sont des securities (valeurs mobilières), ce qui les place sous sa supervision stricte. Elle s’appuie notamment sur le fameux Howey Test, issu d’une décision de la Cour suprême en 1946, pour justifier que les investisseurs s’attendent à des profits générés par les efforts d’un tiers – critère que rempliraient selon elle la majorité des projets crypto.

À l’inverse, la CFTC considère que Bitcoin et Ethereum relèvent de sa compétence en tant que commodities (matières premières), tout comme le blé ou l’or. Elle plaide pour une approche plus souple, orientée sur les marchés à terme et les plateformes d’échange régulées.

Cette rivalité a longtemps contribué à l’instabilité réglementaire aux États-Unis. Tant que le Congrès n’arbitrait pas clairement la répartition des rôles, chaque agence agissait selon sa propre interprétation. Plusieurs entreprises se sont retrouvées prises entre deux logiques, parfois poursuivies par la SEC tout en coopérant avec la CFTC.

Note : Nous reviendrons plus loin dans l’article sur la position actuelle de la SEC et son évolution récente.



Chapitre 3 – Les chocs récents : bull run et scandales

Après une première phase marquée par l’incertitude et les expérimentations, l’écosystème crypto américain a connu un nouveau tournant au cours des années 2020–2022.

L’euphorie DeFi et NFT : un moment d’accélération

Entre 2020 et 2021, le marché des crypto-actifs a connu l’une de ses plus fortes phases de croissance. Bitcoin a dépassé les 60 000 $, Ethereum les 4 000 $, et des milliers de nouveaux projets ont émergé autour de la finance décentralisée (DeFi). Le principe est simple : remplacer les institutions financières traditionnelles par des protocoles autonomes, open-source, accessibles à tous.


À son sommet, en novembre 2021, la DeFi concentrait plus de 178 milliards de dollars de valeur bloquée. Ces protocoles offraient du lending, des échanges automatisés, du yield farming… et attiraient autant les utilisateurs curieux que les investisseurs à la recherche de rendement.

Même en septembre 2025, les capitaux injectés dans la DeFi peinent à retrouver leur sommet de 2021, avec un TVL toujours inférieur au pic historique. Pour en savoir plus, consultez notre article dédié à la DeFi ou contactez-nous pour profiter des opportunités à venir.


En parallèle, les NFT ces jetons non fongibles représentant des objets numériques uniques ont envahi la sphère publique. Art numérique, musique, objets de collection, immobilier virtuel : les cas d’usage se multiplient. En 2021, le marché des NFT a dépassé les 22 milliards de dollars, soutenu par l’enthousiasme de créateurs, de marques et de plateformes comme OpenSea. (Un passage dédié au NFT est présent dans l'article "Qu’est-ce que la blockchain ?")

Nombre hebdomadaire de collections NFT actives sur OpenSea, 2021 - (Les prix des NFTs ont par la suite connu une chute marquée. Les NFT ne font pas partie de notre stratégie d’investissement, mais il reste essentiel de comprendre leur rôle dans l’écosystème Ethereum.)

Tout ces booms technologiques ont contribués à démocratiser la crypto auprès d’un nouveau public. Mais ils ont aussi exposés les failles structurelles d’un écosystème encore jeune, souvent peu contrôlé, où l’effet de levier et la spéculation ont pris une place démesurée.


FTX : un séisme politique et économique

En novembre 2022, tout s’effondre avec la chute de FTX, alors troisième plus grande plateforme d’échange au monde. Présentée comme un modèle de sérieux et d’innovation, FTX se révèle en réalité minée par une gestion opaque et des détournements massifs de fonds. Plus de 8 milliards de dollars de dépôts clients disparaissent.

L’impact est immédiat. L’ensemble du marché crypto plonge. Les utilisateurs sont paralysés. Et pour la première fois, le monde politique américain prend réellement conscience de l’ampleur des risques systémiques liés à un secteur mal encadré.

Le procès de Sam Bankman-Fried, fondateur de FTX, cristallise l’attention. En mars 2025, il est condamné à 25 ans de prison pour fraude, blanchiment et conspiration. Mais au-delà de la figure du fondateur, c’est tout un modèle de croissance rapide et de confiance implicite dans les acteurs « centralisés » de la crypto qui est remis en cause.

Sam Bankman-Fried, fondateur de FTX


Le réveil législatif : vers un cadre plus clair

Face à ce choc, le Congrès américain réagit. Les auditions se multiplient, les agences régulatrices s’activent, et des projets de loi prennent enfin forme.

Parmi eux, deux textes majeurs se distinguent :

  • Le Digital Commodities Consumer Protection Act (DCCPA) propose de confier à la CFTC la supervision des crypto-actifs considérés comme des commodities, avec un accent sur la protection des consommateurs.

  • Le Financial Innovation and Technology for the 21st Century Act (FIT21), voté à la Chambre en mai 2024, vise à clarifier la répartition des compétences entre la SEC et la CFTC, en fonction du degré de centralisation des actifs. Ce texte marque un premier pas vers une reconnaissance légale différenciée des cryptos, selon leur nature et leur usage.


Ces initiatives, bien que toujours en discussion, signalent un tournant. Après des années d’ambiguïté, les États-Unis cherchent désormais à instaurer un cadre clair, sans pour autant brider l’innovation. Cette transition vers une crypto régulée, plus stable et plus institutionnelle, s’inscrit dans une logique d’intégration progressive à l’économie réelle.



Chapitre 4 – L'ère Trump Les initiatives politiques

2025 marque une rupture nette dans la manière dont les États-Unis abordent la crypto‑économie. La régulation devient proactive, et l'état affiche un soutien assumé à l’écosystème. Ce virage passe par des actes réglementaires forts, des réformes fiscales ciblées et une volonté politique affirmée.


Réserve stratégique de Bitcoin et stock d’actifs numériques

En mars 2025, un décret présidentiel crée la Strategic Bitcoin Reserve, alimentée par les BTC confisqués par la justice, ainsi qu’un stockpile numérique pour d’autres actifs (comme l’Ether). Ces réserves sont interdites de vente et doivent être gérées par le Trésor et le Commerce selon des stratégies neutres pour le budget public. Leur mission : asseoir la place des États-Unis comme “crypto capital of the world”

Trump signant la nouvelle réserve de BTC


Interdiction explicite des CBDC

L'Executive Order 14178, publié en janvier 2025, abroge la stratégie précédente sur les monnaies numériques de banque centrale (CBDC) et interdit explicitement toute émission d’un dollar numérique public. Le gouvernement justifie cette décision par la volonté de préserver la liberté financière individuelle et d’éviter un outil potentiellement centralisateur. En contrepartie, il encourage le développement de stablecoins privés, bien régulés, comme alternative d’innovation.


Promotion de profils pro‑crypto dans l’appareil d’État

Des nominations stratégiques illustrent cet alignement clair sur l’innovation : David Sacks est nommé “Crypto & AI Czar”, chargé de placer les technologies numériques au cœur des décisions publiques. Sont également favorisés des profils pro-crypto à des postes influents, souvent en contournant les circuits classiques

David Sacks - à ses début se fait connaître comme directeur de l'exploitation et haut responsable chez PayPal


Réformes fiscales sur le staking et le minage

Dans une logique d’investissement technologique, les revenus issus du staking d’ETH ou d’autres actifs PoS sont requalifiés comme revenus différés, et non plus comme gains immédiats, ce qui allège considérablement la pression fiscale pour les participants. Du côté du minage, des déductions spécifiques sur les coûts énergétiques sont introduites, notamment pour les opérateurs domestiques conformes.


Allégements fiscaux ciblés sur les transactions crypto

Le gouvernement envisage d’exonérer les transactions de faible valeur, pour alléger les obligations fiscales des petits détenteurs ou utilisateurs réguliers. Des seuils de simplification déclarative pour les petits gains en crypto (airdrops, récompenses) sont étudiés, afin de réduire les charges administratives


Le GENIUS Act : la première loi fédérale encadrant les stablecoins

Le 18 juillet 2025, le GENIUS Act (Guiding and Establishing National Innovation for U.S. Stablecoins Act) est promulgué, marquant la première loi fédérale majeure dédiée aux stablecoins. Elle impose une backing 100 % garanti par des actifs liquides (dollars US ou Treasuries), des audits mensuels, des transparences publiques, ainsi que la priorité aux détenteurs en cas de faillite du fournisseur, au détriment des autres créanciers. Ce texte met fin à l’ambiguïté juridique autour des stablecoins et pose les bases d’une adoption institutionnelle solide

Trump signant le Genius Act.


Coordination réglementaire entre les régulateurs

En septembre 2025, la SEC et la CFTC annoncent une initiative conjointe pour harmoniser la régulation des crypto-actifs – notamment pour la négociation de produits de crypto spot avec effet de levier ou à marges ce qui représente une avancée majeure vers la coordination institutionnelle. Ce pas permet de limiter les zones grises entre les régulateurs et offre plus de clarté aux acteurs du marché.




Chapitre 5 – L'ère Trump - Les initiatives familiales

L’engouement autour des cryptoactifs aux États-Unis a connu une véritable accélération dès l’annonce des résultats de l’élection présidentielle de 2024. À partir de ce moment-là, il est devenu évident que la nouvelle administration allait adopter une posture radicalement différente de celle de ses prédécesseurs. Et pour cause : Donald Trump, désormais de retour à la Maison-Blanche, s’est affiché très tôt comme un soutien actif de l’industrie crypto. Une posture qui dépasse la simple orientation politique, puisqu’elle s’accompagne d’initiatives entrepreneuriales portées directement par sa famille.


Une stratégie crypto familiale affirmée - WLFI

World Liberty Financial est un projet de finance décentralisée lancé en 2024 et étroitement lié à la famille Trump. Présenté comme une tentative de “renforcer le dollar américain à l’ère numérique”, ce protocole repose sur deux piliers : un stablecoin adossé au dollar (USD1) et un token de gouvernance (WLFI).

L’ambition est double. D’une part, proposer une infrastructure DeFi accessible au grand public, en particulier aux non-initiés. D’autre part, structurer une trésorerie souveraine en crypto-actifs, valorisée à plusieurs milliards de dollars, avec pour objectif de soutenir le dollar américain sans dépendre des banques centrales ni des monnaies numériques institutionnelles (MNBC). Ce positionnement s’inscrit dans une volonté explicite de proposer une alternative monétaire décentralisée, mais alignée sur des intérêts politiques conservateurs.

Le stablecoin USD1, lancé en mars 2025, est garanti par des dépôts bancaires, des bons du Trésor américain à court terme et des équivalents de trésorerie, le tout conservé par BitGo et soumis à audits réguliers. Dès son lancement, USD1 est devenu l’un des stablecoins les plus capitalisés au monde, atteignant 2,6 milliards de dollars, et figurant désormais dans le top 5 mondial. Il est compatible avec Ethereum, BNB Chain, TRON et bientôt Solana. Fait notable : il a déjà été utilisé dans des transactions institutionnelles majeures, notamment un investissement de 2 milliards de dollars dans Binance par un fonds d’Abu Dhabi.



Le token WLFI, quant à lui, remplit une fonction de gouvernance. Initialement non transférable, il a été rendu échangeable suite à un vote communautaire. L’offre totale est plafonnée à 100 milliards d’unités, dont 25 % ont été vendus lors d’une prévente ayant levé 550 millions de dollars auprès de plus de 85 000 investisseurs. La famille Trump contrôle toujours entre 22,5 % et 25 % des tokens (encore bloqués), ainsi que 60 % des parts de la structure légale lui garantissant 75 % des revenus issus des ventes de tokens.

Le lancement du token WLFI, en septembre 2025, a été remarqué. Le prix initial a bondi jusqu’à 0,46 $, avant de chuter rapidement autour de 0,20 $, pour une capitalisation dépassant néanmoins 6 milliards de dollars, le plaçant brièvement dans le top 25 des cryptomonnaies mondiales.

la journée officielle de lancement du Token sur toutes les plateforme ( c'est la preuve que se lancer sans réfléchir par FOMO et sans stratégie est la plus part du temps une actions qui peut coûter chère même si le projet peut paraître intéressant )


On peut aussi parler de lancements très médiatisés de tokens comme $TRUMP ou $MELANIA, aux allures de meme coins. S’ils ont rencontré un succès fulgurant sur les marchés, leur nature spéculative et leur manque de substance ont suscité un certain malaise. On pouvait légitimement s’attendre à autre chose d’un président en fonction. Heureusement, d’autres initiatives plus structurantes ont suivi.

Le graphique met en évidence la chute phénoménale des mème coins officiels ($TRUMP et $MELANIA). Ces initiatives n’ont jamais fait partie de nos stratégies, car il s’agit avant tout d’objets de spéculation à court terme, créés pour enrichir un groupe restreint plutôt que d’inscrire une vision durable. Le lacement de ces memecoins ne figure pas du tout permis les bonnes actions du président Trump.


Conclusion

En l’espace de quinze ans, les États-Unis sont passés d’une méfiance instinctive envers les crypto-actifs à une approche stratégique et structurée, mêlant supervision réglementaire, intégration économique et souveraineté technologique.

Ce virage s’est accéléré sous l’administration actuelle, qui combine une volonté politique affirmée, des nominations pro-innovation, et un cadre juridique plus clair, notamment avec le GENIUS Act ou la création d’une réserve nationale en Bitcoin.

Si l’avenir reste incertain, une chose est claire : l’ère Trump pourrait bien marquer un tournant décisif dans l’histoire de l’industrie crypto. Non plus comme une force marginale, mais comme une brique assumée du système économique américain.

Détentions des Etats (en date de Septembre 2025)